Dans une longue introduction, elle nous livre les conditions historiques qui ont rendu possible l’apparition de ces comédies : en effet ces comédies sont les premières rédigées en langue vulgaire et en prose, représentées en 1508 et 1509 à l’occasion du carnaval à Ferrare, premières comédies régulières de la Renaissance, qui deviendront ensuite des archétypes, et qui ont une véritable valeur littéraire. Elles ont eu à l’époque un réel succès auprès du public, en tant que comédies érudites, à la différence des comédies populaires. La nouveauté consiste aussi, souligne t-elle, dans la création d’un espace scénique, puisque la représentation de ces comédies a lieu dans le palais du duc d’Este. L’Arioste, nous dit-elle, poète courtisan, a conscience d’être l’inventeur d’un nouveau genre, d’un nouveau classicisme en langue vulgaire. C’est une forme de révolution discrète. Ces comédies d’intrigue sont des premières pièces et la Lena en sera l’aboutissement, ouvrant la voie à Bibbiena et Machiavel. Les apports significatifs de l’auteur à la comédie sont les « giochi », les jeux de mots, de situations, de langage, qui renvoient directement et explicitement à la tradition de Plaute et Térence mais aussi à celle de Boccace et de la poésie burlesque, plus modernes. Pauline Rougier met en valeur le concept de « comique inquiet » qui, dans ces premières comédies, s’incarne à travers la figure de la fortune, la seule à permettre un dénouement heureux, puisque les hommes ne sont plus responsables de leur succès (c’est grâce à l’agnitio que La comédie du coffre se termine bien, et non grâce à l’astuce des valets ou des maîtres).
Dans la postface, elle propose également une réflexion sur la langue des deux pièces présentées, une langue comique en vulgaire mais qui demeure avant tout littéraire ; la réflexion sur la traduction est particulièrement importante et notamment celle sur la traduction du dialecte. Elle explique ses choix lexicaux, la traduction des noms propres qui font allusion à la nature ou aux animaux et qui perdraient à ne pas être traduits, les pertes inévitables de la traduction, les petites compensations obligatoires, elle souligne également la traduction des mots clefs pour le choix du lexique comme fabula, storia, servitù (la distinction entre famiglio, servitore et servo est infime), ghiotto (qui peut vouloir dire ‘glouton’ bien sûr mais aussi ‘perfide’ et ‘scélérat’ quand il est employé pour le personnage de Cléandre), le vocabulaire de la justice (lunghe sera donc traduit par ‘atermoiements’, car c’est un terme juridique signifiant « délai accordé à un débiteur pour l’exécution de ses engagements »), un principe de simplification syntaxique qui n’empêche pas de garder certains mots en fin de phrase s’ils sont importants, tout comme une volonté de respecter les attaques, les chutes et les répétitions. La plus grande difficulté semble résider dans la traduction du « gergo furbesco », du jargon comique dans la Comédie du coffre : elle choisit l’emploi du jargon de Villon qui constitue une solution originale pour retranscrire le comique. Pauline Rougier insiste parallèlement sur le problème des homonymes qui provoquent des doubles sens obscènes, comme par exemple « Pris l’un pour l’autre » où l’on trouve immédiatement le sens de la dissimulation mais également le sens sexuel de « prendre », les équivoques créés par les paronymes et les transpositions pour pouvoir traduire les jeux de mots (par exemple le changement de lettre : Cabane pour Catane).
La traduction est fluide et moderne, le langage comique heurte parfois le langage littéraire mais il traduit le dialecte. L’intérêt de cette traduction est incontestable du fait de son caractère inédit et de l’insertion dans un contexte littéraire et historique très bien explicité, doublé d’une solide réflexion sur les principes traductif.
Pascaline Nicou
Université Jean Monnet – Saint-Étienne